"La Vie d'Adèle" de Kechiche, Palme d'or d'un Festival de belle facture
Léa Seydoux, Abdellatif Kechiche et Adèle Exarchopoulos, lauréats émus de la Palme d'or 2013 pour "La Vie d'Adèle". (crédit : AFP)
Ce sont des jurés très inspirés qui ont décerné, dimanche soir, la Palme d’or du Festival de Cannes au poignant "La Vie d’Adèle", du Franco-Tunisien Abdellatif Kechiche. Fait exceptionnel dans l’histoire de la compétition, le prestigieux président du jury, Steven Spielberg, a attribué la récompense au réalisateur franco-tunisien mais aussi à ses deux sublimes actrices Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos.
On ne pourra que se féliciter du choix des "Sages" qui distinguent ici l’un des plus beaux et des plus déchirants films français de ces dernières années. Histoire d’amour homosexuelle d’une intensité folle, "La Vie d’Adèle" doit beaucoup de sa force à la magnifique interprétation de son duo de comédiennes, qui se sont littéralement mises à nue pour cette romance.
Sur la scène du Grand Théâtre Lumière, Abdellatif Kechiche, visiblement peu à l’aise en public, a tenu à rendre hommage à "la jeunesse de France", qui lui a appris "l’esprit de liberté et de vivre-ensemble", et à la révolution tunisienne…
Pour beaucoup, cette distinction sonne aussi comme une réponse – involontaire ? - aux manifestations anti-mariage pour tous qui ont réuni ce dimanche 150 000 personnes à Paris. Sur la Croisette, quelques festivaliers n’ont toutefois que peu apprécié la décision du jury. "C’est un choix politique, souffle une dame à l’issue de la cérémonie. On n’a plus le droit d’être hétérosexuel en France…"
Bruce Dern (premier plan) dans "Nebraska", lauréat du prix d'interprétation masculine.
Plus réjouissant : l’attribution du Grand prix, qui fait office de deuxième place sur le podium, à l’impeccable "Inside Llewyn Davis", récit plein d’humour et de mélancolie de la vie de bohème dans le New York des années 1960. Grands chouchous de Cannes, où ils ont déjà remporté une Palme en 1991 pour "Barton Fink", les Américains Ethan et Joel Coen, déjà repartis sous d’autres latitudes, n’ont pas pu venir chercher leur distinction. L’occasion pour Oscar Isaac, qui excelle dans le rôle titre de musicien paumé, de monter à la tribune.
Pressenti pour le Prix d’interprétation masculine, le jeune, et jusqu’alors peu connu, acteur américain s’est fait souffler la médaille par l’un de ses confrères et compatriotes plus expérimentés : Bruce Dern, pour son émouvant rôle d’acariâtre alcoolique dans le road-movie en noir et blanc "Nebraska", d’Alexander Payne.
Bérénice Bejo remporte le Prix d'interprétation féminine pour son rôle dans "Le Passé".
Chez les dames, c’est la Française Bérénice Bejo qui, deux ans après sa muette et remarquée prestation dans "The Artist", décroche le prix. Dirigée par l’Iranien Asghar Farhadi, la comédienne incarne avec une acuité qu’on osait lui soupçonner la mère d’une famille recomposée au bord de l’implosion dans "Le Passé". Pas volé, donc (Marion Cotillard, elle, doit se mordre les doigts d’avoir été contrainte de refuser le rôle).
La surprise mexicaine
La surprise de ce palmarès éclairé vient du Mexique. Film choc visuellement maîtrisé sur les cartels de la drogue, "Heli", d’Amat Escalante, n’avait pas, loin de là, remporté l’adhésion de la majorité des critiques qui lui reprochaient, injustement, son ultra-violence. Le seul représentant de l’Amérique latine remporte le Prix de la mise en scène.
Moins étonnant de la part d’un conclave présidé par Steven Spielberg, dont on connaît l’inclination pour les sujets touchant à l’enfance, le très lisse "Tel père, tel fils" de Hirokazu Kore-Eda, s’adjuge le Prix du jury, sorte de médaille de bronze de la compétition. Portrait de la Chine rurale, "A Touch of Sin", de Jia Zhangkhe, - que nous avons raté - est, quant à lui, récompensé pour son scénario.
Avec "Heli", le Mexicain Amat Escalante repart avec le prix de la mise en scène.
Cruelle loi de la compétition cannoise, plusieurs grands réalisateurs quittent la Croisette avec la seule satisfaction d’avoir été sélectionnés dans un Festival 2013 de très haute tenue. Les très bonnes livraisons de François Ozon ("Jeune et jolie"), d’Arnaud Desplechin ("Jimmy P.") et de Steven Soderbergh ("Ma vie avec Liberace") auraient, à nos yeux, mérité de figurer au palmarès.
Les films de James Gray ("The Immigrant"), Jim Jarmusch ("Only lovers left alive"), Paolo Sorrentino ("La Grande Bellezza") ou encore Roman Polanski ("La Vénus à la fourrure") n’ont peut-être pas été suffisamment à la hauteur des espérances qu’ils suscitaient pour s’attirer les faveurs du jury.
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