Michael Douglas et Matt Damon "trop gays" pour Hollywood, mais pas pour Cannes

 


Arrivée à mi-parcours du Festival de Cannes, la presse n’aime rien tant que de se livrer au petit jeu des pronostics. Pour cette édition 2013, dont le niveau dépasse, pour l’heure, largement celui de la précédente, l’exercice s’avère périlleux tant la suite de la compétition abonde d’œuvres plus que prometteuses. Difficile en effet de désigner sa Palme lorsque les films de James Gray, Alexander Payne, Abdellatif Kechiche, Roman Polanski ou encore Jim Jarmusch n’ont pas encore été projetés sur le gigantesque écran du Grand Théâtre Lumière.


Mardi, plusieurs critiques se sont toutefois risqués à sortir leur boule de cristal dans laquelle ils voyaient déjà Michael Douglas et Matt Damon recevoir un double prix d’interprétation masculine pour leur épatante prestation dans le biopic "Ma vie avec Liberace", du déjà palmé Steven Soderbergh (pour "Sexe, mensonges et vidéo" en 1989).


 

 


Les deux acteurs y incarnent avec un plaisir certain le couple d’amants que formèrent, au tournant des années 1970-1980, l’exubérant pianiste pour grand-mères permanentées Liberace (Michael Douglas) et le candide Adonis pour vieux beaux Scott Thorson (Matt Damon). Loin des critères hollywoodiens régissant le genre, souvent laudatif, du biopic, cette romance gay "inspirée de faits réels" offre aux comédiens l’occasion de se jouer du statut de sex-symbol hétérosexuel auquel on les a érigés. À l’écran, les deux hommes, que plusieurs décennies séparent, s’embrassent, se caressent, s’embrouillent et se réconcilient sous la couette. Même si "Ma vie avec Liberace" reste dans le domaine du bienséant, la démarche relève de la prise de risque. 


D’un point de vue commercial, l’audace de Soderbergh n’aura pas payé. Le film a été jugé "trop gay" par les producteurs hollywoodiens qui ont refusé d’accorder au réalisateur les 5 millions de dollars nécessaires (une paille pour les studios américains) à la fabrication de ce qu’il a annoncé comme étant son dernier long-métrage. Finalement acheté par la chaîne de télévision HBO, "Ma vie avec Liberace" sera, aux États-Unis, diffusé uniquement sur petit écran. Gageons que sa sélection en compétition lui fera bénéficier d’un meilleur traitement dans d’autres pays. 

 

Sous la fanfreluche


La Croisette semble en tous cas avoir goûté ce summum de kitsch qu’est l’univers du mégalomane Lee Liberace. En artiste obsédé par la gloire, le pianiste collectionne dans sa villa de Las Vegas tout ce qui peut témoigner de sa réussite : les colonnes romaines, les clinquants candélabres, les tableaux à son effigie et les costumes à paillettes. Cette débauche de lustre pourra paraître au premier abord grotesque, vue par la caméra Soderbergh elle finit par être attendrissante. Certes, les manies des personnages donnent lieu à de truculentes et cocasses scènes (Scott se trimballant en slip noir clouté, Liberace condamné à dormir les yeux ouverts après un drastique lifting du visage), mais jamais elles ne versent dans le ridicule, façon "Cage aux folles".

 

Michael Douglas et Matt Damon sans les apparats de "Ma vie avec Liberace" (crédit : Mehdi Chébil)

 

De fait, sous la fanfreluche de "Ma vie avec Liberace" se cache la même noirceur que le classique "Boulevard du Crépuscule" de Billy Wilder. Tel un vampire assoiffé de sang neuf, "the King of Bling" collectionne aussi les jeunes premiers. Scott Thorson en est un parmi les autres qui, par amour mais aussi attrait du luxe et de la vie facile, se laisse enfermer durant cinq ans dans la prison dorée insidieusement érigée par le pianiste. Son aveuglement est tel qu’il accepte même de subir une opération de chirurgie plastique dans le but de se rapprocher physiquement de son compagnon… Il existe plus saines relations.


On regrettera cependant que Soderbergh n’exploite davantage la part sombre de son personnage, et prive ainsi son film de la profondeur qui en aurait fait le point final idéal de sa riche carrière de réalisateur. Un peu juste peut-être pour pouvoir prétendre à une seconde Palme d’or. 


Le vrai du faux


Valeria Bruni Tedeschi, elle, concourt pour sa première récompense cannoise. Son film "Un château en Italie" a l’ambition autobiographique que le Festival de Cannes aime tant programmer. Avec ce troisième long-métrage (après "Il est plus facile pour un chameau" et "Actrices"), la comédienne-réalisatrice inscrit définitivement sa filmographie dans la lignée des auteurs français comme Maïwenn et Arnaud Despleschin qui ont de sérieux comptes à régler avec eux-mêmes et, bien-sûr, leur famille.

 

 

Celle de Valeria Bruni Tedeschi, et de sa sœur Carla qu’on ne présente plus, constitue une abondante source d’inspiration dont elle se sert ici allègrement. Au spectateur de démêler le vrai du faux, de débusquer dans la fiction les éléments biographiques que l’on sait authentiques parce que lus dans la presse people.

Valeria Bruni Tedeschi, alias Louise dans le film, est la petite-fille d’un riche capitaine d’industrie italien. Vrai. Elle est une actrice célèbre qui a depuis 10 ans mis sa carrière entre parenthèses. Faux. Elle a eu pour compagnon un comédien connu dont la caractéristique principale est de faire systématiquement la gueule. Vrai (il s’agit de Louis Garrel qui joue son propre rôle). Valeria aurait eu une petite aventure avec le père du susnommé petit-ami avant de le rencontrer. Faux (il s’agirait ici plutôt d’une référence à Carla).

 

Malicieux et même plutôt osé, le petit jeu du grand déballage finit toutefois par s’épuiser. À force de vouloir se montrer, par souci de transparence, sous un jour défavorable (elle crie, elle hurle, elle éructe), on en vient à suspecter Valeria Bruni Tedeschi de ne pas avoir osé aller jusqu’au bout de son entreprise. Mélangeant savamment la gravité, parfois forcée, d’un film français nombriliste et le burlesque d’une comédie italienne, "Un château en Italie" louvoie trop pour convaincre totalement son auditoire.

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