Du sang, des larmes et du sexe... la jeunesse vue par le Festival de Cannes

La sublime Marine Vacth, "Jeune et jolie" pour François Ozon.

 

"On n’est pas sérieux quand on a 17 ans" n’est certainement pas la meilleure des citations d’Arthur Rimbaud. Disons que, pour briller lors des dîners en ville, on peut trouver mieux. Il suffit pourtant qu’une poignée de lycéens parisiens récitent à haute voix ce laconique vers pour que sa profondeur éclate au grand jour.

 

Ces lycéens, ce sont les camarades de classe d’Isabelle (Marine Vacth), sublime héroïne du fascinant "Jeune et jolie", de François Ozon ("Swimming Pool", "Huit femmes", "Dans la maison"), premier des six cinéastes français à entrer en compétition. Pour clarifier les choses, le 14e film du cinéaste se situe à mille lieues du magazine pour adolescentes dont il emprunte le nom. De fait, la jeune fille de 17 ans dont le portrait est ici dressé ferait bien mauvais genre dans la rubrique "courrier du cœur".

 

Car Isabelle a beau venir des beaux quartiers de Paris, l’activité qu’elle pratique durant son temps libre ne sied guère à son rang social. La jeune demoiselle, à la beauté parfaite, se prostitue. Davantage pour le plaisir que par nécessité. Une histoire dont le potentiel à susciter le malaise se situe donc au niveau "alerte rouge". A priori seulement.

 

 

 

 

 

 

Loin du film faussement choc sur la sexualité d’une petite effrontée au physique plus qu’avantageux, "Jeune et jolie" offre d'abord un point de vue sensible et sensitif sur l’adolescence. Cet âge durant lequel l’éveil des sens entraîne parfois les résidents d'un même foyer à pousser des portes mal fermées pour y espionner autrui se retrouvant, bien souvent, dans des postures inconfortables. Le long-métrage d’Ozon foisonne de ces petits moments du quotidien particulièrement embarrassants mais qui constituent la première prise de contact avec le corps de l’autre. Une fois, c’est Isabelle qui croise accidentellement dans le couloir son beau-père (Frédéric Pierrot) nu comme un ver, une autre c’est son petit frère qui l’observe en pleine séance de plaisir solitaire ou, inversement, elle qui s’amuse de le voir dans la salle de bain en train de scruter l’arrivée d’un poil sous ses aisselles.

 

"Je suis moi"

 

Est-ce cette curiosité, alors poussée à l’extrême, qui contraint Isabelle (Lea pour ses clients) à jouer les escort-girls de luxe pour des hommes ayant l'âge de son grand-père ? On ne le saura pas vraiment. Serait-ce alors l’attrait de l’argent ? Un appétit sexuel insatiable ? La quête d’un père de substitution ? Mystère encore. C’est en grande partie là que réside l’intérêt du film. Il existe très certainement une explication psychanalytique au comportement de la demoiselle, mais rarement Ozon s’attarde sur ce terrain afin de ne pas porter de jugement sur son personnage, que campe avec brio et justesse la prometteuse Marine Vacth.

 

Marine Vacth, François Ozon et Géraldine Pailhas (crédit : Mehdi Chebil)

 

Loin de lui l’idée pourtant de banaliser la prostitution, ni même de l’idéaliser. Toute la deuxième partie du film dépeint les dommages provoqués par la découverte du secret d’Isabelle : le désarroi puis le dégoût de sa mère, interprétée par la formidable Géraldine Pailhas, l'amusement teinté de fascination de son beau-père ou encore la méfiance des amis de la famille.

 

Découpé en quatre chapitres correspondant aux quatre saisons, "Jeune et jolie" s’achève sur le printemps, celle des amours, sans qu’on nous ait clairement délivré les clés de l’énigme Isabelle. L’explication se situe peut-être dans la dernière chanson de Françoise Hardy, dont les histoires d’amour gracieusement fredonnées tout au long du film en font un personnage à part entière. "Je suis moi", chante-t-elle comme en écho à l’héroïne prenant conscience d’être l’incarnation de la beauté absolue. D’être une femme prisonnière de son statut d’irrésistible objet du désir.

 

Des alcôves parisiennes au désert mexicain

 

Beaucoup plus radical dans sa démarche et, visiblement, davantage enclin à la controverse, le Mexicain Amat Escalante délivre une toute autre vision de la jeunesse. Après avoir déjà remué la Croisette avec "Sangre" (Un certain regard en 2005) et "Los Bastardos" (Un certain regard, 2008), le réalisateur revient à Cannes, cette fois-ci en compétition, avec un sujet taillé à la mesure son jusqu'au-boutisme : l'ultra-violence des cartels de la drogue.

 

 

 

 

 

 

Aussi aride que les paysages du désert mexicain, "Heli" décrit avec un réalisme froid la spirale de violence qui emporte les cinq membres d’une modeste famille sans histoires pris dans les griffes des cartels de la drogue. A l’origine de la terrifiante et soudaine infortune qui va bouleverser le cours de leur vie : la petite Estela, 12 ans, qui a la mauvaise idée de s’amouracher d’un apprenti policier croyant bon détourner deux paquets de cocaïne aux très corrompues autorités de lutte anti-drogue...

 

Très vite confrontés aux foudres des usurpés - dont on ne sait à quel camp ils appartiennent -, l’amoureux et le frère de la fillette vont subir les pires sévices. Une violence portée crûment à l’écran par un Escalante qui refuse de reléguer l’insoutenable hors champs. Quitte à choquer, sinon exaspérer, à plusieurs reprises le spectateur. Sur le podium des scènes ayant entraîné le départ précipité de nombreux festivaliers : un élève-officier obligé de se rouler dans son vomi, un paramilitaire surarmé brisant le cou d’un adorable petit chien et un tortionnaire mettant le feu aux parties génitales de sa victime.

 

 

Film-épreuve aux images parfois à la limite du regardable, le seul film de la compétition venu d’Amérique latine n’est pas pour autant une œuvre détestable dont l’unique dessein serait d’engranger du sordide et de l’abjecte. A la manière d’un légiste, le réalisateur donne également à voir le processus de déshumanisation affectant ceux qui ont eu un jour affaire à l’ultra-violence des cartels. Des faits que l’on sait réels et qui ne relèvent en rien du fantasme. On est loin des alcôves parisiennes…

 

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1 Comments
"On n’est pas sérieux quand on a 17 ans" est un vers génial. Touchez à ce que vous voulez, mais pas à Rimbaud.

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