Vengeances, bluette et petite baisse de régime sur la Croisette

 

François Ozon sera donc celui par qui le scandale de ce 66e Festival de Cannes arriva. Près d’une semaine après la projection en compétition de son film "Jeune et jolie", le cinéaste français s’est attiré les foudres de la Twittosphère en déclarant à "Hollywood Reporter": "Beaucoup de femmes fantasment de se livrer à la prostitution". Et de s’embourber : "Cela ne veut pas dire qu'elles le font, mais le fait d'être payé pour avoir des relations sexuelles est quelque chose de très évident dans la sexualité féminine."

 

La vague de réactions outrées qui a déferlé sur les réseaux sociaux après la publication de ces propos a quelque peu éclipsé l’entrée en lice du seul  long-métrage africain de la compétition, "Grigris" de Mahamat Saleh-Haroun. Son joli titre ne lui aura donc pas permis de conjurer le mauvais sort que le tohu-bohu cannois réserve parfois aux films. D’autant que la nouvelle livraison du réalisateur tchadien est loin d’atteindre le niveau de son précédent long-métrage "Un homme qui crie", dont la touchante histoire d’un père et de son fils mobilisé au front avait ému la Croisette en 2011.


Bluette et contrebande


Ici, l’alchimie ne prend pas. Énième histoire de vengeance racontée cette année à Cannes, "Grigris" avait de quoi séduire. Danseur magnifique malgré une jambe droite paralysée, le personnage éponyme (Soulémane Démé) se retrouve poursuivi par une bande de gangsters à qui il a volé du pétrole de contrebande. Contraint de fuir la ville, le peu disert Grigris part sur les routes tchadiennes aux bras de la jeune et jolie prostituée nommée Mimi (Anaïs Monory).

 

 

Laborieuse bluette sur fond de règlements de compte mafieux, "Grigris" n’illumine qu’à la faveur des esthétiques scènes de danse exécutées par le héros. État de grâce qui, malheureusement, s’évapore chaque fois que le film verse dans la romance. L’histoire d’amour aurait pu être belle si on nous avait donné les moyens d’y croire.


Polar vainement tordu


Difficile également de croire à la mauvaise nouvelle du jour. Ce qui devait être l’un des moments "people" les plus forts de cette quinzaine n’aura pas lieu : Ryan Gosling ne montera pas les marches pour la projection de "Only God forgives" de son "ami" Nicolas Winding Refn, qui l’avait déjà dirigé dans le stylisé "Drive" (prix de la mise en scène en 2011). Lors de la conférence de presse, Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, a lu un message de l’acteur (actuellement à Détroit pour le tournage de son premier film en tant que réalisateur) dans lequel il s'excuse de n’avoir pu se libérer pour défendre le film.  

 

 

 

 

Une présence qui aurait peut-être fait passer la pilule thaïlandaise du réalisateur danois. Polar ultra-violent et tordu dans le Bangkok des bas-fonds, "Only God forgives" suit - lentement - un flic-justicier fan de sabres et de karaoké traquant un trafiquant de drogue américain (Ryan Gosling) qu’une mère machiavélique et manipulatrice (Kristin Scott Thomas) entraîne dans la spirale de la vengeance. Voilà pour la trame.


Merci, les techniciens !


Nul rebondissement policier dans cette bravade choc dont l’intérêt se limite à ses prouesses visuelles et, accessoirement, aux répliques assassines de la cruelle baronne du crime interprétée par l’actrice franco-britannique. On aurait presque de la peine pour la comédienne qui porte à elle seule les scènes l’opposant à son taiseux truand de fils, rôle auquel Ryan Gosling semble définitivement abonné ("Drive", "The Place beyond the Pine").

 

"Only God forgives" est de ces films de techniciens qui privilégient la forme au fond. Les mouvements de caméra sont d’une fluidité exemplaire et la lumière, (sur)passée aux filtres rouge et bleu, parfaitement étudiée. Un grand merci donc au chef opérateur Larry Smith. Merci aussi au compositeur Cliff Martinez pour ces hypnotiques nappes de synthétiseur (déjà présentes dans "Drive") qui pallient ponctuellement le manque de profondeur de ce thriller vainement dégénéré.

 

"Repousser les limites"

 

Toujours est-il que cet effort apporté au style pourrait taper dans l’œil de la Britannique Lynne Ramsay, l’un des neuf membres du jury que France 24 a rencontrée. Tenue au secret du conclave présidé par Steven Spielberg, la réalisatrice de "We need to talk about Kevin" consent à nous faire part des critères qui, chez elle, pourraient peser dans la balance. "Pour moi, raconter une histoire est une chose, mais ce que je recherche dans un film, c’est sa capacité à repousser formellement les limites", nous affirme-t-elle.

 


Une exigence qui ne correspond pas tout à fait aux films désignés, pour l’heure, comme les plus sérieux prétendants à la Palme : "Inside Llewyn Davis" des frères Coen et, dans une moindre mesure, "Ma vie avec Liberace" de Steven Soderbergh. Ces deux longs-métrages ne révolutionnent pas les lois de la narration mais restent des œuvres d’auteur, label auquel Lynne Ramsay reste profondément attachée.

 

"Les connaissances de Spielberg sont encyclopédiques"

 

Après avoir quitté en 2009 les plateaux de "Lovely Bones", à qui un studio américain avait confié la réalisation, la cinéaste écossaise a refait parler d’elle cette année en lâchant, dès le premier jour de production, les rênes   de "Jane got a gun" dont on ne lui garantissait pas le "final cut". "Je pense que je fais attention à mes choix, se défend-elle. J’essaie d’être quelqu’un d’ouvert mais je fais du cinéma d’auteur, et je tourne les films que j’ai envie de faire, ce qui n’était possible dans ces cas-ci."

 

Alors, Lynne Ramsay, définitivement fâchée avec Hollywood ? L’affection qu’elle porte pour le travail de son patron au sein du jury nous laisse penser le contraire. "J’admire vraiment Steven Spielberg, c’est un véritable cinéphile. Ses connaissances sont encyclopédiques, c’est un plaisir d’échanger avec lui. Et c’est un homme charmant qui a su garder les pieds sur terre", confie-t-elle. À l’en croire, d’une manière générale, "ce jury est merveilleux. Nous sympathisons ensemble et devenons amis." La grande famille du cinéma, quoi.

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1 Comments
"qui pallient ponctuellement au manque de profondeur de ce thriller vainement dégénéré". Pallier est un verbe transitif direct.

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