Palme de raison ou palme de passion ?
Ça y est, "Mud" de l’Américain Jeff Nichols a clos la compétition cannoise. A quelques heures de l’annonce du palmarès concocté par le jury de Nanni Morreti, les critiques établissent le leur. Avec notre confrère Jon Frosch et notre consoeur Lisa Nesselson, nous dressons un sommaire mais intransigeant bilan de cette 65e édition du Festival de Cannes. Alors à qui adressons-nous notre Palme ? C’est en écoute ci-dessous.
Ce fut donc au benjamin de la sélection qu’est revenu la charge, ce samedi matin, de fermer le ban des prétendants à la Palme. Un an après son sublime "Take Shelter" qui avait conquis le jury de la Semaine de la critique, le cinéaste de 33 ans s’est de nouveau attiré les faveurs du public cannois avec, cette fois-ci, un séduisant film d’aventures sur l’amour fraternel et le passage à l’âge d’homme.
Tye Sheridan, Matthew McConaughey et Jacob Lofland dans "Mud".
Comme en écho au film d’ouverture "Moonrise Kingdom" de Wes Anderson, "Mud" suit les péripéties d’adolescents débrouillards aux prises avec le monde des adultes. Dans un bled perdu de l’Arkansas, deux jeunes garçons (Tye Sheridan, vu dans "The Tree of Life", et Jacob Lofland) se lient d’amitié avec un vagabond au grand cœur (Matthew McConaughey), qu’ils vont assister dans sa quête de l’amour perdu (Reese Witherspoon). Mené avec moins de virtuosité que son précédent long-métrage, le récit de ce sauvetage sentimental au cœur des bayous du Sud américain (encore !) s’inscrit dans la pure lignée des épopées infantiles à la Steven Spielberg.
Mais plus qu’une fiction sur les affinités entre grands enfants, "Mud" est un émouvant film sur la crise de la masculinité et les affres qui rongent l’homme de ce siècle nouveau. Le chaleureux accueil que lui a réservé le public cannois prouve en tout cas qu’il ne s'agit pas que d’une gentillette histoire portée par deux mignonnes frimousses.
Le réalisateur Jeff Nichols et ses acteurs, dont la comédienne Reese Witherspoon, qui attend un heureux événement. (crédit : Mehdi Chébil)
Pour autant, le dernier film de la compétition semble loin d’avoir remplacé ceux qui restent dans le cœur des festivaliers comme les deux grandes claques de la compétition : l’impeccable et puissant "Amour" de Michael Haneke, l’impétueux et facétieux "Holy Motors" de Leos Carax. Le jury présidé par Nanni Moretti fera-t-il le choix de la sobriété avec le premier ou de la fougue avec le second ? Les neuf Sages décerneront-ils une Palme de raison ou un Palme de passion ? S’agissant de deux films français, il est de toute façon peu probable qu’ils soient désignés ex-aecquo…
A qui le jury cannois, présidé par un Nanni Moretti en lunettes noires, attribuera-t-il la Palme 2012 ? (crédit : Mehdi Chébil)
S’ils ne peuvent trancher, les jurés pourront toujours se reporter sur les bons "Moonrise Kingdom" de Wes Anderson, "De rouille et d’os" de Jacques Audiard, "Like Someone in Love" d’Abbas Kiarostami, ou, à la limite, le moyen "The Hunt" de Thomas Vinterberg.
A défaut de Saint Graal, les favoris pourront se voir attribuer, en guise de consolation, un prix d’interprétation pour leurs acteurs. La délicate mais impressionnante prestation que livre le couple Jean-Louis Trintignant-Emmanuelle Riva dans le long-métrage de Haneke pourrait, à elle seule, valoir une récompense commune spécialement créée par le jury.
Si l’on s’en tient au prix d’interprétation ordinaire, le très physique et endurant Denis Lavant ("Holy Motors", où il joue 11 rôles), Matthias Shoenaerts ("De rouille et d’os") et Mads Mikkelsen ("The Hunt") tiennent la corde chez les hommes. Côté femmes, sont souvent citées la pudique prestation de Marion Cotillard en jeune femme amputée de ses deux jambes ou l’engageante performance de Margarethe Tiesel en touriste du sexe dans "Paradis : Amour". Et, rêvons un peu, pourquoi pas Nicole Kidman pour son rôle de (vulgaire) femme fatale dans "The Paperboy" ?
Jean-Louis Trintignant ("Amour"), Margarethe Tiesel ("Paradis: Amour"), Marion Cotillard ("De rouille et d'os"), Mads Mikkelsen ("The Hunt").
Voilà pour les coups de coeur. Au rang des déceptions, espérons que les neuf jurés ne se laissent pas impressionnés par les noms illustres associés aux ratés "Cosmopolis" de David Cronenberg et "Sur la route" de Walter Salles, par le curriculum de Cristian Mungiu ("Au-delà des collines") par l’expérience du doyen Alain Resnais ("Vous n’avez encore rien vu") ou par l’aspect politique d’"Après la bataille", film labellisé "printemps arabe" de Yousry Nasrallah.
Notre source proche du jury, qui, les années passées, avait été en mesure de nous délivrer avant l’heure le nom de quelques primés, infirmera ou confirmera tout au long de la journée de dimanche les bruits qui courent sur la Croisette. Les premiers prix seront annoncés par le président Nanni Moretti. Puis le palmarès complet tombera.
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