Sur la Croisette avec une "ouvrière" d'Hollywood et un cinéaste palestinien

Amy Hargreaves, actrice américaine de "Blue Ruin" et Hany Habu-Assad, réalisteur palestinien d'"Omar"


Cannes n’a plus de secret pour elle. Pour la deuxième année consécutive, Marion Cotillard a foulé, dimanche soir, le tapis rouge du Palais des Festivals où était présenté hors compétition "Blood Ties", le premier film américain de son compagnon Guillaume Canet. La coqueluche française d’Hollywood remettra le couvert vendredi avec la projection du très attendu "The Immigrants", que James Gray aurait écrit pour elle.

 

Mais le Festival, ce ne sont pas seulement des stars rompues à la montée des marches. Avec des centaines de films présentés, toutes sélections confondues, durant la quinzaine, la Croisette fourmille de comédiens dont la majorité des festivaliers ignore le nom mais qui ont, pour certains d’entre eux, une filmographie aussi longue que la traîne d’une robe Christian Dior.

 

"Ce n’est pas Cannes tous les jours"

 

Amy Hargreaves fait partie de ces "working actresses", les "actrices bûcheuses", comme on les appelle à Hollywood. "Je suis actrice depuis que j’ai 12-13 ans mais je voulais quand même poursuivre mes études, nous confie-t-elle. Une fois que j’ai eu mon master de sciences politiques à la New York University (NYU), je me suis demandé si je voulais avoir un vrai job ou continuer à faire ce truc très drôle qui est de jouer la comédie. J’ai choisi la comédie. Ce n’est pas Cannes tous les jours, mais bon…"

 

Macon Blair, acteur principal de "Blue Ruin".

 

Aujourd’hui âgée de 43 ans, Amy a pourtant franchi une nouvelle étape dans sa carrière. Vue chez le cinéaste britannique Steve McQueen, pour lequel elle a joué une escort-girl dans "Shame", la comédienne incarne la sœur de Claire Danes dans l’une des séries les plus en vue du moment, "Homeland". "Cela a changé des choses dans ma vie, avoue-t-elle. Les producteurs et réalisateurs me disent oui plus facilement car j’ai gagné en visibilité. Je suis la même actrice qu’il y a 18 mois, mais les choses sont plus faciles pour moi maintenant."

 

Aujourd’hui, sa venue au Festival de Cannes constitue une sorte de consécration. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, "Blue Ruin", dans lequel elle joue, ne risque pas de remporter la Palme d’or, mais qu’importe. "Être à Cannes est déjà une récompense en soi. Pour moi, cela représente le cinéma, le glamour, la réussite. Que ce film au budget minuscule puisse arriver ici, je ne l’imaginais pas. Lorsque, il y a trois semaines, j’ai reçu un SMS annonçant la nouvelle, j’étais en train de promener mon chien en pleine tenue de yoga et je n’y croyais pas. Ce n’était pas envisageable."

 

"Business as usual"

 

Thriller se situant entre l’outrance des séries Z et la noirceur d’un "No country for old man" des frères Coen, "Blue Ruin", du jeune Jeremy Saulnier, a reçu un accueil chaleureux de la part du public comme de la critique. Peu après sa projection, samedi, en première mondiale, ce film bien singulier sur l’absurdité de la loi du Talion dans une Amérique rurale surarmée a - ultime reconnaissance - été acheté par Harvey Weinstein, le célèbre et influent distributeur américain à qui "The Artist" doit une partie de son succès international. Champagne et business, "as usual".


C’est toutefois avec un certain amusement qu’Amy Hargreaves assiste à cette gigantesque machine qu’est la grand-messe cannoise. "Être ici, voir les bateaux, les flashs des photographes dès l’arrivée à l’aéroport, les femmes bien habillées dans la rue et des filles de 19 ans aux bras des messieurs âgés, c’est drôle. De même que j’aime pouvoir assister à des fêtes où il y a le réalisateur Ang Lee [membre du jury] ou Benicio del Toro. Je suis ici à Cannes en actrice mais aussi en groupie !"

 

Mais le strass et les paillettes, cela va pour un temps. Originaire de New York, Amy n’a jamais voulu quitter sa ville natale pour Los Angeles, poumon de l’industrie du cinéma américain. "Là-bas, tout tourne autour de Hollywood. Dans les restaurants, tout le monde se guette pour savoir quel acteur déjeune avec quel producteur. Je préfère vivre à New York car, au moins, je peux souffler un peu."

 

Thriller en Cisjordanie

 

Loin du grand barnum sponsorisé auquel l’on reproche parfois la Croisette de s’être sacrifiée, de nombreux films viennent rappeler que le Festival de Cannes est loin d’être le royaume de la superficialité.

 

Huit ans après avoir mis en scène deux Palestiniens préparant un attentat-suicide dans le très remarqué "Paradise Now", Hany Abu-Assad débarque à sur la Côte d’Azur avec un thriller politique sur fond de conflit israélo-palestinien. Présenté à Un certain regard, "Omar" met aux prises trois amis d’enfance de Cisjordanie que la cause palestinienne va finir par déchirer.

 

Film que les rebondissements placent à la lisière du polar, le septième long métrage du cinéaste palestinien - il refuse le label "arabe-israélien" - décrit le déchaînement de violence d’un conflit qui semble sans issue. Non sans que plusieurs notes d’espoir soient distillées ici ou là. À l’image de cette scène d’interrogatoire d’où naît un début de complicité entre le héros éponyme (Adam Bakri), palestinien, et un responsable israélien de la sécurité intérieure (Waleed Zuaiter).

 

Waleed Zuaiter et Adam Bakri dans "Omar".

 

"Mon film n’a pas vocation à susciter l’espoir, se défend pourtant le cinéaste, très direct. Ce n’est pas mon job de délivrer un message d’espoir de réconciliation. Mon job est de permettre au public palestinien, israélien, européen, à tout le monde, de vivre, le temps d’un film, une vie qu’il ne connaîtra jamais en réalité."

 

"Une barrière entre moi et l’art de l’occupant"

 

Long-métrage financé à 95 % par des fonds palestiniens, "Omar" s’inscrit dans ce dynamique cinéma émergent que le Liban et Israël ont initié. "Je suis un réalisateur multiculturel, affirme Hany Habu-Assad. Je suis Palestinien, mais ma première culture cinématographique est égyptienne, puis américaine, indienne et européenne, avec des cinéastes comme Truffaut, Godard, Fassbinder. Viennent ensuite la Corée, le Japon, l’Iran. Tous ces cinémas m’influencent, mais je ne me sens pas connecté au cinéma israélien. Il y a comme une barrière entre moi et l’art de l’occupant. Mais peut-être suis-je trop traumatisé."

 

Malgré la colère qui transparaît dans la véhémence de ses propos, Hany Abu-Assad se refuse de faire du conflit son sujet de prédilection. Même s’il se déroulera dans les Territoires palestiniens, son prochain projet n’abordera pas de front les rivalités qui gangrènent la région.


"Je travaille sur un film qui n’abordera pas le conflit. Ce sera un road trip, mais si je montre des Palestiniens voyageant en voiture, ils croiseront forcément des check-points sur la route. Bien que le film n’aborde pas à proprement parler le conflit israélo-palestinien, il ne peut l’esquiver totalement."

Comments or opinions expressed on this blog are those of the individual contributors only, and do not necessarily represent the views of FRANCE 24. The content on this blog is provided on an "as-is" basis. FRANCE 24 is not liable for any damages whatsoever arising out of the content or use of this blog.
0 Comments

Poster un nouveau commentaire

Le contenu de ce champ ne sera pas montré publiquement.
  • Aucune balise HTML autorisée

Plus d'informations sur les options de formatage

CAPTCHA
Cette question vous est posée pour vérifier si vous êtes un humain et non un robot et ainsi prévenir le spam automatique.