Sexe, mensonge et télé-réalité

Cannes, c’est un peu Jean qui pleure et Jean qui rit. Après deux jours de compétition placés sous le signe du mélodrame, la Croisette est comme prise d’une envie de rire. Pis, d’un besoin incompressible de se moquer. Place donc à la satire. Z’allez voir ce que vous allez voir, on va se fendre la poire. Et bien non.

 

Rire jaune ou gras ?

 

Cinq ans après nous avoir déjà parlé de quête de bonheur avec "Import/Export", l’Autrichien Ulrich Seidl s’attaque dans "Paradis : Amour" au tourisme sexuel pour femmes mûres. Où comment des quinquagénaires se rendent au Kenya pour trouver du réconfort (c’est un euphémisme) dans les bras de jeunes éphèbes. Un sujet abrupt sur lequel le Français Laurent Cantet s’était cassé les dents il y a quelques années avec son très timoré "Vers le Sud".

 

 

 

 

 

Cinéaste jusqu’au-boutiste, Ulrich Seidl aborde la question frontalement. Après une première partie plaisante, plutôt bonhomme et gentiment vacharde à l’égard de ses personnages féminins (Margarethe Tiesel, Inge Maux), incarnations bien en chair du tourisme de masse, le film tourne rapidement à l’aigre. Et suscite très vite un sentiment de malaise.

 

Malaise lorsque les Autrichiennes font répéter aux autochtones des propos racistes en langue allemande. Malaise lorsque, désinhibées par la distance, les hautes températures et le vin de palme, elles délivrent d’un vaillant soutien-gorge leurs seins fatigués. Malaise lorsque, à la faveur d’une scène finale à la limite du supportable, elles manquent de réduire leur gigolo à l’état d’esclave sexuel. Dans la salle, les rires nourris du début se sont progressivement transformés en rires gênés (en espérant que celui de notre voisin ne fut pas approbateur).

 

Inge Maux, Peter Kazunga et Margarethe Tiesel en séance photo sur la Croisette. (crédit : Mehhi Chébil)

 

Il eut été trop facile cependant qu’Ulrich Seidl ne réserve ses piques qu’à ses compatriotes. L’Autrichien décoche aussi ses flèches en direction de certains jeunes Kényans dont la cupidité n’a d’égale que leur insistance à vouloir approcher ces vieilles Occidentales esseulées. Dans "Paradis : Amour", chacun exploite le malheur de l’autre. Drôle de paradis.

 

"Big Brother is watching you"

 

Bien que moins éprouvant, le réquisitoire anti-télé-réalité de l’Italien Matteo Garrone, sobrement intitulé "Reality", constitue une autre épreuve. Le film débute pourtant bien. Le rythme est enlevé, les personnages hauts en couleur et la mise en scène percutante. Mais le film perd de son souffle dès lors que nous avons saisi où le réalisateur du brûlot "Gomorra" voulait nous embarquer : aux frontières troubles entre la réalité et la fiction.

 

 

Suivi au plus près par une collante caméra épaule, Luciano (l’acteur-taulard Aniello Arena, qui, pour la petite histoire, a tourné le film entre deux séjours en prison) rêve de participer à l’émission de télé-réalité "Grande Fratello" afin d’échapper à sa condition de modeste poissonnier-escroc à la petite semaine.

 

Poussé par son encombrante famille, il va nourrir l’espoir d’intégrer l’émission, jusqu’à perdre complètement pied et sombrer dans la folie. C’est un peu court au niveau des idées, mais un peu long en termes de durée. Etait-il raisonnable de prendre deux heures de notre temps pour prévenir, curé à l’appui, des dangers de la société du spectacle, dont la télé-réalité est l'expression la plus significative ?

 

Plus c'est long, plus c'est bon ?

 

Une paire d'heures, c'est en tous cas, le temps que les réalisateurs sélectionnés cette année mettent - et vont mettre -  en moyenne à nous raconter leurs histoires. Volonté de faire durer le plaisir ou peur de ne pas pouvoir tout dire en moins de temps ?

 

Fort heureusement, le nombre de minutes d'un film n'est pas proportionnelle à celui des faiblesses qu'il pourrait contenir. Que faudrait-il alors penser de "Laurence Anyways", 2 heures 40, présenté dans la section Un certain regard ? Tout simplement que le troisième film du prodige québécois Xavier Dolan est, pour l'heure, le plus long film visionné sur la Croisette mais aussi le plus réjouissant. Mais cela c'est une tout autre histoire....

 

 

 

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