Joey Starr taquine Cannes et Marion Cotillard débarque en Amérique

 

Quand la compétition cannoise entre dans sa dernière ligne droite et que la fatigue guette, le festivalier se met en quête du petit coup de fouet qui lui permettrait de rester éveillé au moins jusqu'à minuit. S’agirait pas de rentrer à Paris en disant qu’on s’est couché avec les poules...


En ce jeudi soir, ce n’était définitivement pas sur "Michael Kohlhaas", d’Arnaud des Pallières, en lice pour la Palme, qu’il fallait compter pour nous extirper de la léthargie naissante. Les micro-critiques lues sur les réseaux sociaux ne promettaient pas, en effet, un grand moment de récréation. "Un peu trop long et contemplatif", "gros film en granit, pesant et solennel, de l’art-enclume"... Bref, "il n’y a plus qu’à compter les chevaux", se désespère même Metro. Par crainte du pensum, nous renonçons au film du cinquième réalisateur français en compétition. Avec un léger pincement au cœur toutefois : le Danois Mads Mikkelsen (prix d’interprétation masculine l’an passé pour "La Chasse") doit exceller en marchand de chevaux animé de vengeance (encore) dans la France du XVIe siècle.


"Vous les avez garés où vos yachts ?"


Nous optons donc pour un programme plus vitaminé. Direction la villa portant le nom d’un célèbre soda à la quinine, où se produisent Joey Starr et sa bande. Il y a là beaucoup de nœud-papillonnés qui obtempèrent de bonne grâce aux injonctions de l’ex-cofondateur de NTM. "Faites du bruit, les milliardaires ! Vous les avez garés où vos yachts ?", lance-t-il dans la plus pure tradition, un peu éculée, du rap chambreur. Nous qui sommes vêtus du triptyque sweat capuche-jean-baskets laissons passer la provocation. En bon cinéphile qu’il est, le chanteur et désormais acteur balance alors un "Remuez-vous, on dirait le public de Jacques Demy !". La foule s’exécute. "Mais vous ne devez pas savoir qui est Jacques Demy…" Nous rentrons nous coucher.

 

 

 

 

Il aurait été de toute façon hors de question de rater, ce vendredi matin, "The Immigrant", de James Gray, dont c’est la quatrième sélection en compétition, après "The Yards" (2000), "La nuit nous appartient" (2007) et "Two Lovers" (2008). Toujours reparti bredouille de Cannes, le réalisateur américain a-t-il des chances, cette année, de regagner les États-Unis avec une récompense dans les bagages ?

 

Tout dépendra de la volonté du jury présidé par Steven Spielberg à distinguer des œuvres au classicisme certain. Film d’époque ayant le New York des années 1920 pour décor, "The Immigrant" s’inscrit, c’est son ambition, dans la lignée des grands mélodrames. Du sérieux, rien que du sérieux. Mais James Gray fait rarement du cinéma pour qu’on se gondole.


L’immigrante en question, c’est Ewa Cybulski (Marion Cotillard, pour qui le film a été écrit), Polonaise tout juste débarquée à Ellis Island, porte d’entrée des États-Unis que les candidats au rêve américain n’étaient autorisés à franchir qu’en bonne santé. Alors que sa sœur Magda est mise illico en quarantaine pour cause de vilaine tuberculose, Ewa tombe dans les griffes du maquereau Bruno Weiss (Joaquin Phoenix) qui, en bon Samaritain plein de mauvaises intentions, lui offre l’hospitalité…


Une seule nuance de Gray


Évoluant d’habitude dans les milieux mafieux ukrainiens de Brooklyn, James Gray effectue donc, avec "The Immigrant", un sérieux changement de cap. D’où, peut-être, cette décevante impression qu’il est passé à côté de quelque chose. Que le dramatique, dont on appréciait l’ampleur dans les précédents films, n’a pas passé l’épreuve du saut dans le temps. Que l’ambiguïté qui habite d’ordianire ses personnages leur fait ici défaut.

 


Convaincante dans ses habits d’immigrée que la clandestinité pousse à la prostitution, Marion Cotillard - dont il se dit parmi les Polonais présents sur la Croisette qu’elle manie leur langue avec brio - n’a jamais l’occasion de sortir de son rôle de sainte à la voix fluette. Point de variations non plus dans la partition du sauveur au grand cœur interprété par Jeremy Renner. Seul le méchant Bruno Weiss, que l’amour va bonifier, semble avoir été doté d’une complexité propre à transcender le jeu de Joaquin Phoenix, quelque peu éteint au début du film.

 

James Gray étant James Gray, "The Immigrant" réserve son lot de magnifiques séquences que le genre mélodramatique impose : un tabassage policier dans le clair-obscur d’un tunnel, un meurtre dans la pénombre d’un immeuble miteux, ou un accostage à la sauvette sur les rives d’Ellis Island que surveille au loin la statue de la Liberté, symbole pour l’immigrante d’une promesse encore non tenue.

 

Des tronches et des tocards


C’est également une promesse qui sert de point de départ à "Nebraska", de l’Américain Alexander Payne ("Monsieur Schmidt", "Sideways", "The Descendants"). Celle d’un gain d'un million de dollars pour lequel le vieil alcoolique Woody Grant (Bruce Dern) est prêt à parcourir le Mid-West à pied. Au désespoir de son fils David (Will Forte) qui finit par accompagner son paternel dans sa folle escapade.  

 


Bien sûr, cet argent, dont on sait d’emblée que personne ne verra la couleur puisqu’il s’agit d’une grossière arnaque, n’est que le prétexte à un cocasse périple en noir et blanc au cœur de l’Amérique rurale. Dans ce vaste territoire des États-Unis, où les autochtones n’ont "rien d’autre à faire que boire", il n’en faut pas beaucoup pour qu’un malentendu tourne à la bouffonnerie, comme ce rocambolesque vol d’un compresseur (dont on ignore la fonction première) subtilisé à la mauvaise personne.


Tantôt bienveillant, tantôt railleur envers les tronches et les tocards qui peuplent son Nebraska natal, Alexander Payne propose un séduisant film à petit budget qui demeure toutefois en-deçà du road-movie aviné "Sideways". On dira que la promesse a été en partie tenue.

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