La cure de jouvence du bon docteur Anderson

 

Montre-moi ton badge et je te dirai qui tu es. À Cannes, il est une tradition dont la grande majorité des journalistes se passeraient bien. Celle des accréditations qui, selon leur couleur, donnent un accès plus ou moins rapide au saint des saints Palais des Festivals. Malgré l'épais mystère qui entoure les critères d'attribution des sésames, nous avons pu remarquer, pour faire court, qu’au bas de l'échelle, le jaune est réservé aux plumitifs débutants tandis qu'à l'autre bout du spectre, le blanc est attribué aux vieux de la vieille de la critique (ceux qui commencent leur phrase par "Je me souviens quand Orson Welles a reçu sa Palme pour 'Othello'…"). L'auteur de ces lignes possède le bleu. Le plus répandu, donc pas le plus efficace.


C'est avec les trois quarts d'heure d'attente requis que nous débutons ce premier jour de projections. Mais le jeu en vaut la chandelle car, au bout de la longue file, nous attend "Moonrise Kingdom", le septième film de Wes Anderson qui a l'honneur d'ouvrir le 65e Festival de Cannes et sa compétition.

 

La grande évasion en culottes courtes

 

On ne saurait trop remercier les organisateurs d'avoir eu la judicieuse idée de programmer en ouverture cette rafraîchissante bluette en culottes courtes malicieusement orchestrée par le cinéaste texan.

 

 


Comme un pied de nez à l'édition 2011 qui avait accordé une large place à la maltraitance infantile (on se souvient de "Polisse", "Le Gamin au vélo" et de la Palme "The Tree of Life"), la nouvelle fiction du réalisateur de "La Famille Tenenbaum" et de "Fantastic Mr. Fox" est une ode à l'enfance et à son inépuisable faculté d'imagination. Une cure de jouvence de bon aloi avant le parcours du combattant qui attend les festivaliers.

 

Nous sommes en 1965, sur une petite île de la Nouvelle-Angleterre. Jeune orphelin que les services sociaux s'acharnent à décrire comme un enfant "psychologiquement instable", Sam Shakusky (Jared Gilman), 12 ans, s'échappe d'un camp de scouts pour rejoindre les bras de sa dulcinée Suzy Bishop (Kara Hayward), qu'il embarque dans sa fuite. S'engagent alors de fastidieuses, mais désopilantes, opérations de recherche menées par un bataillon de stars : l'unique agent de police de l'île (Bruce Willis), les parents de la belle (Bill Murray, Frances McDormand), les chefs scouts (Edward Norton, Harvey Keitel) et l'assistante sociale (Tilda Swinton).

 

Bruce Willis et Bill Murray sur la Croisette (Photo : Mehdi Chébil)


Autant de grandes personnalités qui brillent à Hollywood mais qui, dans le royaume d'Anderson, perdent de leur aura. Car dans "Moonrise Kingdom", ce sont les enfants qui gouvernent. Ils ne jouent pas aux grands, ils sont les grands. Sam fume la pipe, boit la bière qu'on lui propose et philosophe volontiers sur la complexité du monde. Dans leur échappée belle, le jeune fuyard et sa douce mettent leur intelligence – et leurs armes blanches – au service de leur dessein (fuir, mais où ?) quand les adultes perdent leur temps et leur énergie en futiles chamailleries. L'âge bête n'est plus celui que l'on pense.

 

Contrairement à ces personnages en perte de repères, Wes Anderson, lui, évolue en terrain connu. Tout, dans le fond, rappelle ses précédents films : le clan ("La Famille Tenenbaum"), la filiation ("La Vie aquatique"), la fuite ("Au bord du Darjeeling Limited"). Sur la forme, le style Anderson trouve ici son expression la plus poussée : plans fixes soigneusement composés, mouvements de caméra quasi militaires, couleurs pastel, goût obsessionnel pour le détail, l'accessoire et l'accoutrement…


Cinéaste parfois prisonnier d’un maniérisme rétro qui lui a valu le titre de "réalisateur pour hipsters", Wes Anderson parvient, dans "Moonrise Kingdom", à s'affranchir de ses propres codes pour s'emparer de ceux, plus universels, de la fable et de la comptine. Sans assécher pour autant son inspiration. Comme le résume le jeune Sam à Suzy : "Ce ne sont pas les rimes qui font la poésie, mais la créativité".

 

 

A lire sur RFI :

-Maîtresse de cérémonie, le nouveau rôle de Bérénice Bejo au Festival de Cannes

 

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2 Comments
Moonrise Kingdom ou la désagréable sensation d'avoir été invité par Wes Anderson dans son appartement témoin pour une séance diapositive relou, sirotant poliment un diabolo grenadine et cherchant désespérément la sortie du regard. Ici tout est style. Du plan le plus serré sur une chiure de mouette aux vues d'ensemble de l'ile ou l'histoire prend place. La mise en scène froide, mécanique (presque mathématique) ne laisse quasi-aucune place au peu d'émotions que pourrait susciter la quête de nos apprentis héros, écrasant de tout son poids ses personnages errant avec nous dans ces putains de décors en carton-pate omniprésent. Les acteurs adultes (à contre emploi évidemment) relégués au second plan, eux mêmes ne semble pas trop y croire. Et vas-y que je t'exhume Bruce Willis (spéciale dédicace à Taratino), et vas-y que je te tourne en dérision un (plus tout) jeune premier avec Norton dans le rôle de Matt Damon dans True Grit, et (roulement de tambour) Bill Murray dans le rôle de... Bill Murray. Le cinéma de Wes Anderson s'est perdu quelque part entre l'acceptable Michel Gondry et le pire des frères Cohen. Cher Guillaume Guguen, vous l'aurez compris, je ne partage pas votre enthousiasme. Tout ça m'aura presque donné envie de me remater La Cité des Enfants Perdus et Hook... avec un bon verre de Jack évidemment.
Merci pour avoir mis le Festival de Cannes a la une comme vous l'avez fait pour les elections presidentielles. Les media doivent servir economiquement la France.

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